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juliettesastre3

[peut-on poser du cadre en toute bienveillance ?]




C'est un sujet de débat sans fin qui constitue l'article du jour : l'éducation bienveillante met-elle assez de cadre au chien pour lui permettre de se comporter d'une façon qui ne mettra pas autrui en porte-à-faux ?


Avant de répondre à cette question, il me semble important de définir ce que j'estime être un cadre nécessaire pour la sécurité de tous dans l'éducation de nos chiens.


De mon point de vue, dans l'idéal, nos chiens devraient :


- acquérir une stabilité émotionnelle leur permettant de prendre les décisions adéquates dans des situations ambiguës (ex : se détourner d'un chien en laisse qui ne souhaite pas de contact plutôt que de foncer dessus)

- maîtriser le renoncement lorsque c'est nécessaire (cela inclut donc le rappel et suivi naturel - renoncer à l'environnement lorsque la situation le veut pour retourner vers l'humain)

- accueillir et gérer leur frustration lorsque la situation le permet raisonnablement

- avoir appris à inhiber leur morsure de façon adéquate afin de ne pas blesser autrui, chien ou humain, lors des séquences de jeu

- avoir acquis des mécanismes de décharge émotionnelle si le besoin s'en fait sentir lors des moments délicats, en lieu et place des comportements gênants (ex : saisir un objet en gueule au moment de l'arrivée des invités au lieu de sauter)


L'éducation bienveillante permet d'atteindre tous ces objectifs, sans exception aucune. Cependant, plusieurs obstacles se dressent sur la route de leur accomplissement :


 Le manque de patience. L'acquisition d'un cadre posé par l'éducation bienveillante prend du temps. La douleur et la peur étant des inhibiteurs comportementaux très puissants, les méthodes éducatives basées sur ces émotions donnent des résultats très rapides (bien pratique, dans une société majoritairement basée sur la satisfaction immédiate).

Lorsqu'on choisit d'éduquer sans aversif, on fait le choix de s'engager sur du long terme, d'user de répétition, de renoncer à certaines choses ou habitudes de vie pour donner au chien des conditions d'apprentissage acceptables (tiens donc, ne demande-t-on pas à nos chiens d'apprendre justement le renoncement ?)...


Lorsqu'on éduque dans la bienveillance et la compréhension des besoins du chien, on fait le pari de savourer à crédit le fruit de nos efforts. Mais le résultat n'en est que plus satisfaisant lorsqu'en plus des résultats escomptés, il apporte de la sérénité, du bien-être et une confiance mutuelle qu'aucune méthode aversive n'apportera jamais


 Le manque de connaissances et/ou de réflexion. Quand on choisit d'éduquer de façon bienveillante, on s'assure avant toute autre action que les besoins du chien sont comblés, car aucune mesure éducative ne peut être prise tant que le chien cherche à combler un besoin incompris. Encore faut-il être au fait des besoins réels de son chien...

Sécurité affective, besoins intrinsèques à l'espèce, à la race ou à la lignée sont encore malheureusement majoritairement inconnus et incompris par l'humain. Ce n'est pas un jugement, c'est un constat. Et si certaines personnes prennent conscience de leurs difficultés (le fameux je sais que je ne sais pas) et font appel à un professionnel pour les aider à y voir plus clair, d'autres s'entêtent dans leur méconnaissance en pensant être dans le vrai (je ne sais pas que je ne sais pas), et répondent aux comportements gênants du chien en serrant la vis, encore et encore, jusqu'au point de rupture (explosion/inhibition).


Éduquer dans la bienveillance demande des connaissances : lorsqu'on s'interdit l'usage de la violence et de la peur, il est indispensable de comprendre les mécanismes de fonctionnement du chien afin de les utiliser comme leviers dans l'éducation.

Frapper, hurler, enfermer, punir, est à la portée de n'importe qui. Le mécanisme est basique, simple à comprendre : mauvaise action = sanction = baisse de la fréquence/intensité du comportement. Ce qui est plus délicat à appréhender, ce sont les effets délétères directement connectés à ce type de méthodes : perte de confiance du chien en lui-même, en son environnement, en son humain, apparition de troubles du comportement (mécanismes compensatoires, associations negatives, troubles anxio-dépressifs...).

Les adeptes du "une bonne baffe n'a jamais tué personne" n'ont vraisemblablement pas saisi une notion importante : nous ne tuons peut-être pas nos chiens physiquement parlant, mais nous leur infligeons des blessures psychologiques qui tuent à petit feu leur développement cognitif et émotionnel.


 Le regard d'autrui : certaines personnes ont parfaitement saisi la nécessité de bannir la violence et la peur de leur approche, ont réussi à lire et interpréter les besoins de leur chien, et ont accepté de s'engager dans un processus d'éducation bienveillante. Mais voilà : le moindre débordement, le moindre échec est scruté, décortiqué, mis sur le dos d'un prétendu manque de cadre, d'une "éducation permissive" ou d'un laxisme dangereux. Le jugement est tel que certains craquent, et retombent dans l'utilisation de méthodes coercitives, pour se plier aux exigences de leur entourage.


Le chien est un être vivant. AUCUNE méthode, et j'insiste bien sur le mot, n'offre un cadre absolument infaillible. Le mode sans échec est un idéal absolument inatteignable. Lorsqu'on s'engage dans l'éducation d'un animal, il est nécessaire d'être conscient que :

- les échecs sont inévitables. L'objectif ne peut pas être leur disparition totale, mais leur réduction maximum, dans le respect des émotions de l'animal et de la sécurité d'autrui

- le regard des autres est souvent le reflet de leurs propres insécurités (peur/anxiété/blocages émotionnels...), de leur éducation, de leur propre pression sociale. Nous n'avons aucune prise là-dessus. Nous avons par contre prise sur notre propre émotionnel, notre relation à notre chien, sur la force de notre engagement et sur la solidité de nos connaissances


- si les jugements sont (souvent) hâtifs et sans fondements, il est néanmoins de notre devoir de faire en sorte que notre chien ne nuise pas à autrui. Ainsi, s'il n'est pas encore parvenu à atteindre les objectifs cités en haut de l'article (et c'est ok, chacun son rythme, ses possibilités, son histoire...), alors des mesures de sécurité doivent être prises le cas échéant : tenue en longe, muselière, balade dans des endroits peu fréquentés ou à des horaires calmes, mise en place d'une gestion d'environnement solide (barrières bébé, espaces séparés...). Ne donnons pas de grain à moudre aux mauvaises langues en confondant bienveillance et ingérence


Éduquer dans la bienveillance n'est pas un renoncement ni une démission. C'est un engagement qui demande de la force mentale, des convictions et des connaissances. C'est guider un animal à l'émotionnel parfois débordant, en gérant nous-même nos propres émotions pour ne pas céder à l'impulsivité. C'est faire temporairement (ou pas) des sacrifices, pour permettre à notre chien de rentrer dans des apprentissages qui nous serviront toute sa vie.


Et c'est surtout en ressortir bien plus riche de connaissances, sur l'espèce canine... Et sur nous-même.


Juliette Sastre

Yes We Dog - Education & Comportement canin

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