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juliettesastre3

[moins intrusif, plus éthique, plus efficace]




Vivre avec un chien sensible, réactif, anxieux [...], c'est faire face, bien souvent, à des comportements qui nous bousculent, qui bousculent le monde extérieur, et bien évidemment le chien lui-même. Nul besoin de le préciser une nouvelle fois : tout comportement produit par le chien prend ses racines dans une (ou plusieurs) émotion(s), elle-même induite par un grand nombre de possibles facteurs. Une fois ce constat fait, la question reste la suivante : comment, concrètement, modifier ce comportement, l'emmener vers une amélioration, dans le respect maximal de la sécurité émotionnelle de l'animal ?


J'ai choisi, dans cet article, de vous parler d'une façon de concevoir l'accompagnement du chien dont je m'inspire beaucoup dans le suivi des chiens réactifs que j'accompagne : l'approche LIMA (Least Intrusive, Minimally Aversive, ou "Moins intrusif, aversif à minima" en français). Cette approche, développée dans le monde animal par Susan Friedman, chercheuse émérite en psychologie et éthologie, peut être vulgarisée comme ceci : lorsque l'on souhaite modifier un comportement, il est essentiel de hiérarchiser notre intervention, en utilisant TOUJOURS en priorité les méthodes les moins intrusives possibles pour l'animal.


Concrètement :

On s'assure toujours, en première intention, que les besoins de l'animal sont comblés. On parle ici de besoins physiologiques (boire à volonté, manger une nourriture de qualité adaptée à ses besoins et digeste, dormir d'un sommeil de qualité et en quantité suffisante...), mais également d'un besoin de sécurité (physique, affective, émotionnelle), de besoins inhérents à l'espèce canine (mastiquer, se dépenser cognitivement, flairer...). Si ce premier palier comporte des failles, il est absolument primordial et incontournable de les combler avant de passer à l'étape suivante de l'accompagnement du chien. Un chien en insécurité intérieure en raison d'un socle bancal (nourriture manquante ou inadaptée, manque de sommeil, douleurs, éducation basée sur la violence et l'aversion...) ne pourra pas avancer correctement dans un processus de guérison émotionnelle, et donc d'amélioration des comportements liés. Ce premier palier représentera donc notre tout premier objectif, et le tout premier axe d'amélioration de la situation


 On parle ensuite d'arrangement d'antécédents. En d'autres termes : on met tout en place pour que le comportement ne puisse plus se produire (ou beaucoup moins), et ne puisse donc plus se renforcer. Quelques exemples concrets : le chien aboie sans discontinuer et se jette contre les vitres de la maison lorsqu'un chien passe dans la rue. On vient alors flouter la vue, avec du film opaque adhésif : le chien étant moins soumis aux stimulations extérieures, les aboiements diminuent en fréquence et en intensité.


Le chien monte très fort en tension au moment du passage d'enfants devant le portail, à l'heure de la sortie des écoles. On anticipe alors l'heure de passage, et on s'arrange pour que le chien se trouve à l'intérieur de la maison (avec de la mastication et de la musique, par exemple, pour limiter l'impact du bruit des enfants). Ce deuxième point est extrêmement important à maîtriser, car il s'appuie sur deux concepts essentiels :


1) le non-renforcement du comportement non-désiré (pour rappel, si un chien produit un comportement qui lui apporte du bénéfice, comme se jeter sur la fenêtre en aboyant (oh! le chien dans la rue s'en va! mission accomplie!), alors le comportement se reproduira. A l'inverse, si le comportement n'est plus alimenté par un renforçateur (parceque l'anticipation et l'arrangement d'antécédents ne lui donne plus l'occasion de se produire), alors il perdra en efficacité et donc en fréquence d'apparition


2) la limitation du taux de cortisol dans l'organisme de l'animal, et donc de l'explosivité de celui-ci. Arranger l'environnement pour éviter l'apparition de comportements explosifs, c'est éviter au maximum la montée en flèche du fameux cortisol, et c'est donc mettre le chien sur les rails d'un comportement général plus apaisé, moins à fleur de peau


Une fois les deux paliers précédents compris et mis en place, on travaille sur les comportements résiduels (en d'autres termes, les comportements qui persistent malgré les effets des actions précédentes). On parle ici de renforcement positif : on va venir renforcer de façon très volontaire et proactive les comportements désirés par l'humain. Exemple concret : à chaque fois que mon chien regarde calmement un autre chien passer dans la rue, je lui donne une friandise. Si mon chien est gourmand, il y a de fortes chances pour que le comportement "regarder calmement" apparaisse de plus en plus souvent. Cependant, le renforcement positif, s'il paraît simple à pratiquer sur le papier, comporte des pièges :


1) ce qui renforce notre chien à l'instant T n'est pas toujours ce que nous pensons. Lorsque je travaille avec un chien réactif par peur, par exemple, je remarque très souvent que le renforçateur principal du chien n'est pas la nourriture... mais la capacité à gérer lui-même la distance à laquelle il a envie (besoin!) de se tenir du congénère en face de lui. Complexe, hein? En réalité, ce qui motive beaucoup de chiens, et qui constitue une récompense en soi (précieuse, car trop souvent rare!)... c'est le libre-arbitre. Choisir de soi-même de s'éloigner ou de se rapprocher de l'objet de la peur est souvent bien plus précieux aux yeux du chien qu'un morceau de knacki... qui pourra par ailleurs avoir une grande valeur aux yeux du chien dans un autre contexte, et donc s'avérer très efficace pour renforcer d'autres comportements dans un autre environnement


2) ce que nous considérons comme agréable pour le chien peut en fait être très aversif... l'exemple le plus parlant qui me vient ici est celui de la caresse. Beaucoup de référents de chiens (et de pros...) choisissent, par exemple, d'alterner récompense alimentaire et récompense par la caresse ou le câlin. Lorsqu'on observe le chien, qui est alors caressé lorsqu'il produit un comportement, on observe alors des signaux d'inconfort très marqués (position basse, pourléchage de babines, blanc de l'oeil visible...). Notre chien a beau apprécier le contact physique à la maison (lorsqu'il est en demande en ce sens), cela ne constitue absolument pas un renforçateur pour lui dans le contexte d'apprentissage : nous obtenons alors l'inverse de l'effet escompté, à savoir une punition positive (ajout d'un stimulus aversif), ce qui va donc faire baisser la fréquence d'apparition du comportement que nous voulions voir apparaitre plus souvent (oupsi!)


3) le timing de récompense est primordial. Lorsque nous cherchons à atteindre un comportement-cible (à savoir un comportement très précis, qui s'ancre dans un espace temporel court), récompenser à retardement (ou par anticipation) peut créer d'importantes entraves dans le processus d'apprentissage. Par exemple : un chien, réactif par peur, regarde calmement passer un congénère. Le renforçateur tarde à arriver, car son humain regarde son portable pendant ce temps. Lorsqu'il lève le nez, son chien est déjà au bord de l'explosion. Il marque et renforce le comportement... au moment où le chien explose. Double oupsi.


Le renforcement positif est donc, indéniablement, un outil extrêmement efficace... mais qui doit être manié avec précaution, et toujours être précédé de mesures visant à l'utiliser avec le plus de parcimonie possible, pour développer au maximum l'autonomie décisionnelle du chien


 Si les méthodes précédentes n'ont pas suffi à atténuer suffisamment le comportement indésiré, on passe alors à l'apprentissage de comportements alternatifs différentiels (à vos souhaits). Concrètement : on apprend au chien, par conditionnement, à effectuer une action qui va venir parasiter mécaniquement l'action non désirée. Exemples concrets : mon chien se sauve dès que j'ouvre le portail et tarde beaucoup à revenir. Je vais donc lui apprendre à aller se coucher dans son panier et à attendre, chaque fois que le portail s'ouvre. Le chien ne peut pas à la fois être au panier et de l'autre côté du portail. Le chien aboie à la fenêtre malgré la gestion d'environnement : je vais lui apprendre à saisir un jouet en gueule chaque fois qu'il entend un chien dans la rue (ben oui, difficile d'aboyer avec une corde dans le bec).

Ces méthodes, si elles semblent fun à apprendre au chien sur le papier, nécessitent avant d'être mises en place d'avoir tenté de gérer l'apparition du comportement de façon moins intrusive... sans compter que leur efficacité sera limitée, voire nulle, sans avoir respecté les étapes précédentes : comment rester sagement dans mon panier pendant que le portail s'ouvre sur un monde d'odeurs, si je ne suis sorti qu'une fois par mois en laisse courte ? Comment avoir envie de saisir mon jouet si le chien que je hais passe en gros plan 5x par jour devant ma fenêtre?


Encore une fois... l'obéissance et le conditionnement ne sont jamais les premiers outils que l'on utilise dans le processus de rééducation d'un chien. Ils sont une béquille, un outil supplémentaire qu'il est essentiel de doser avec beaucoup de justesse et qui intervient dans un contexte rendu plus propice aux apprentissages


 Dans le déroulé de l'approche LIMA, interviennent ensuite l'extinction, le renforcement négatif et la punition négative. Traduction :


1) L'extinction consiste à supprimer le renforçateur produit par une action du chien (exemple : faire le poirier lorsque le chien nous saute dessus) afin de provoquer une baisse de la fréquence d'apparition du comportement. Sur le papier, cette méthode a de quoi séduire : on ignore le comportement indésirable, jusqu'à ce qu'il disparaisse (comme Houdini). Petit bug dans la matrice : cette méthode, utilisée seule, est dangereuse pour plusieurs raisons :

- elle crée souvent ce que l'on appelle un "pic d'extinction" : le chien intensifie le comportement produit pour tenter d'arriver à son but, avant de le diminuer. Petit problème : la sécurité. Un chien qui saute, ignoré sur une longue période, peut en plus de sauter tenter de griffer, saisir les vêtements... avant de cesser le comportement non désiré

- l'extinction suppose d'ignorer l'émotion sous-jacente au comportement indésirable. Qui dit ignorer l'émotion, dit possibilité que le chien tombe en résignation. Et un chien résigné, c'est, d'une part, un chien en souffrance, et d'autre part, un chien qui apprend seulement que ses tentatives d'assouvir un besoin sont ignorées. Pas top pour sa confiance en lui-même, en l'humain, en son environnement...

- chaque comportement produit par le chien a une fonction. L'extinction suppose d'ignorer cet état de fait, car on ne trouve pas au chien de solution de remplacement pour assouvir ce besoin. Il est donc important de veiller à ce que le chien, s'il abandonne un certain comportement, puisse trouver une échappatoire dans une autre action


2) le renforcement négatif s'appuie sur le retrait d'un stimulus aversif pour le chien (appliqué précédemment par l'humain) afin d'augmenter la fréquence d'apparition d'un comportement. Par exemple : on exerce une pression sur l'arrière-train du chien, jusqu'à ce qu'il pose les fesses au sol. Une fois le chien assis, on retire la pression (retrait du stimulus aversif). Le chien tire en laisse : on exerce une pression par collier étrangleur, qui se relâche dès que le chien ralentit le pas.

L'épilogue sur le renforcement négatif ne sera pas très long : je le bannis de ma pratique et le déconseille très fortement. Soumettre volontairement un chien à des situations douloureuses, effrayantes ou stressantes, même brièvement, c'est nourrir le terreau de l'anxiété chronique, du manque de confiance en l'humain et en l'environnement, et c'est se tirer une énorme balle dans le pied pour la pérénisation des apprentissages et du lien de confiance


3) La punition négative a pour principe le retrait de quelque chose d'agréable pour le chien lorsqu'il produit un comportement indésiré, dans le but de faire baisser la fréquence d'apparition de ce comportement. Par exemple : dans le jeu, le chien prend votre main en gueule, serre et vous fait mal. Vous quittez immédiatement la pièce. Si cet évènement se répète, alors le chien finit par faire le lien entre "main en gueule serrée" = fin de l'interaction, et le comportement diminue. Cette façon d'aborder les choses devrait être utilisée avec parcimonie : la frustration qu'elle engendre peut, sur certains profils de chiens, mener à des comportements explosifs. Il est donc important de réfléchir en amont à la solution apportée au chien (toujours cette histoire de besoins!) afin de lui permettre de canaliser l'émotion à l'origine du comportement... et de toujours prioriser les étapes précédentes

 La méthode la plus aversive et la plus intrusive dans l'échelle de LIMA est la punition positive. Le principe est simple : on ajoute un stimulus aversif pour le chien dans le but de faire cesser un comportement. Aucune difficulté ici à trouver des exemples : le coup de sonnette quand le chien tire, la cannette de cailloux secouée à côté du chien lorsqu'il aboie...

Ici encore, pas d'argumentaire à rallonge : c'est pourri. Ce type de méthodes crée et nourrit des émotions (peur, stress, colère...) qui parasitent tout : la relation entre l'humain et son chien, la confiance que le chien porte à son environnement, sa capacité à réguler ses émotions...


Le déroulé de cet article, comme vous l'aurez compris, n'a pas pour but de vous faire adhérer corps et âmes à une méthode de modification comportementale : la méthode LIMA tend à démontrer l'importance de doser et hiérarchiser l'intervention humaine, en laissant le plus d'espace possible au libre-arbitre du chien. Mais elle éclaire aussi certaines limites que je m'interdis formellement de franchir, et que j'encourage un maximum de personnes autour de moi à ne jamais franchir, pour le bien-être de leur animal, et leur propre paix intérieure


Juliette Sastre

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